Louis Aragon poète de la résistance à l'occupation nazie : L'Art poétique, Paris et La Légende de Gabriel Péri.
A Paris, le 30 mai 1942, Jacques Decour, Georges Politzer, Jacques Solomon et Georges Dudach sont fusillés!
Le 16 août 1942, dans l'hebdomadaire suisse "Curieux", que l'on pouvait recevoir en zone sud, Aragon publie sous son nom " L'Art poétique" qui figurera en tête de "En français dans le texte" que Fred Uhler va éditer dana ls collection des "Idées poétiques" à Neuchâtel.
ART POETIQUE
Pour ms amis morts en Mai
Et pour eux seuls désormais
Que mes rimes aient le charme
Qu'ont les larmes sur les armes
Et que pour tous les vivants
Qui changent avec le vent
S'y aiguise au nom des morts
L'arme blanche des remords
Mots mariés mots meurtris
Rimes où le crime crie
Elles font au fond du drame
Le double bruit d'eau des rames
Banales comme la pluie
Comme une vitre qui luit
Comme un miroir au passage
La fleur qui meurt au corsage
L'enfant qui joue au cerceau
La lune dans le ruisseau
Le vétiver dans l'armoire
Un parfum pour la mémoire
Rimes rimes où je sens
La rouge chaleur du sang
Rappelez-nous que nous sommes
Féroces comme des hommes
Et quand notre coeur faiblit
Réveillez-nous de l'oubli
Rallumez la lampe éteinte
Que les verres vides tintent
Je chante toujours parmi
Les morts en Mai mes amis.
Louis Aragon 1942
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PARIS
Où fait-il bon même au coeur de l’orage
Où fait-il clair même au coeur de la nuit
L’air est alcool et le malheur courage
Carreaux cassés l’espoir encore y luit
Et les chansons montent des murs détruits
Jamais éteint renaissant de la braise
Perpétuel brûlot de la patrie
Du Point-du-Jour jusqu’au Père-Lachaise
Ce doux rosier au mois d’août refleuri
Gens de partout c’est le sang de Paris
Rien n’a l’éclat de Paris dans la poudre
Rien n’est si pur que son front d’insurgé
Rien n’est ni fort ni le feu ni la foudre
Que mon Paris défiant les dangers
Rien n’est si beau que ce Paris que j’ai
Rien ne m’a fait jamais battre le cœur
Rien ne m’a fait ainsi rire et pleurer
Comme ce cri de mon peuple vainqueur
Rien n’est si grand qu’un linceul déchiré
Paris Paris soi-même libéré
Louis Aragon, 1944
Poème classé dans Chaos, Guerre, Louis Aragon.
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Mort pour des « lendemains qui chantent »
Quelles que soient les responsabilités de la direction du PCF et les tentatives du ministre de Vichy, Péri est transféré à la prison du Cherche-Midi, placée sous contrôle allemand. Considéré comme otage par les Allemands qui entendent répondre aux attentats individuels que mène le PCF depuis l’entrée en guerre de l'URSS, Péri fait donc partie des 92 otages fusillés le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien.
Le numéro 142 de L'Humanité clandestine, daté du 19 décembre 1941, titre « Von Stulpnagel a fait fusiller 100 patriotes de plus » et poursuit, « Gabriel Péri a été enlevé de la Santé ; qu'en a t'on fait ? Contre ces crimes qui nous ramènent au Moyen Âge, peuple de France lève toi [...][24] » Le numéro 144, daté du 5 janvier 1942 (tiré selon le groupe Unir à 150 000 exemplaires), annonce en première page :
« Gabriel Péri, Sampaix et des dizaines d'autres patriotes ont été fusillés. La France entière doit clamer son indignation et sa colère face aux oppresseurs nazis et à leurs complices de Vichy. »
Dès lors, pas un numéro ne paraît sans que soient rappelées ces exécutions. Le numéro 147 du 23 janvier 1942 publie des extraits de la dernière lettre de Gabriel Péri, en même temps qu'est lancée une campagne d'adhésion intitulée « Promotion Péri-Sampaix ». De même, de nombreux tracts voient le jour[25]. Sujette à controverse, la mort de Gabriel Péri, plus de soixante-dix ans après, suscite encore des passions. Laisser la parole à celui qui a reçu tant d'hommages posthumes est sans doute un moyen de faire comprendre, par sa rectitude, l'ampleur de l'homme :
« Que mes amis sachent que je suis resté fidèle à l'idéal de ma vie ; que mes compatriotes sachent que je vais mourir pour que vive la France. Je fais une dernière fois mon examen de conscience. [...] J'irais dans la même voie si j'avais à recommencer ma vie. Je crois toujours en cette nuit que mon cher Paul Vaillant-Couturier avait raison de dire que le communisme est la jeunesse du monde et qu'il prépare des "lendemains qui chantent". Je vais préparer tout-à-l'heure des lendemains qui chantent. »
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Légende de Gabriel Péri
C'est au cimetière d'Ivry
Qu'au fond de la fosse commune
Dans 1'anonyme nuit sans lune
Repose Gabriel Péri
Pourtant le martyr dans sa tombe
Trouble encore ses assassins
Miracle se peut aux lieux saints
Où les larmes du peuple tombent
Dans le cimetière d'Ivry
Ils croyaient sous d'autres victimes
Le crime conjurant le crime
Etouffer Gabriel Péri
Le bourreau se sent malhabile
Devant une trace de sang
Pour en écarter les passants
Ils ont mis des gardes-mobiles
Dans le cimetière d'Ivry
La douleur viendra les mains vides
Ainsi nos maîtres en décident
Par peur de Gabriel Péri
L'ombre est toujours accusatrice
Où dorment des morts fabuleux
Ici des hortensias bleus
Inexplicablement fleurissent
Dans le cimetière d'Ivry
Dont on a beau fermer les portes
Quelqu'un chaque nuit les apporte
Et fleurit Gabriel Péri
Un peu de ciel sur le silence
Le soleil est beau quand il pleut
Le souvenir a les yeux bleus
A qui mourut par violence
Dans le cimetière d'Ivry
Les bouquets lourds de nos malheurs
Ont les plus légères couleurs
Pour plaire à Gabriel Péri
Ah dans leurs pétales renaissent
Le pays clair où il est né
Et la mer Méditerranée
Et le Toulon de sa jeunesse
Dans le cimetière d'Ivry
Les bouquets disent cet amour
Engendré dans le petit jour
Où périt Gabriel Péri
Redoutez les morts exemplaires
Tyrants qui massacrez en vain
Elles sont un terrible vin
Pour un peuple et pour sa colère
Dans le cimetière d'Ivry
Quoi qu'on fasse et quoi qu'on efface
Le vent qui passe aux gens qui passent
Dit un nom Gabriel Péri
Vous souvient-il ô fusilleurs
Comme il chantait dans le matin
Allez c'est un feu mal éteint
Il couve ici mais brûle ailleurs
Dans le cimetière d'Ivry
Il chante encore il chante encore
Il y aura d'autres aurores
Et d'autres Gabriel Péri
La lumière aujourd'ui comme hier
C'est qui la porte que l'on tue
Et les porteurs se subtituent
Mais rien n'altère la lumière
Dans le cimetière d'Ivry
Sous la terre d'indifférence
Il bat encore pour la France
Le cœur de Gabriel Péri
Louis ARAGON décembre 1943
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Ce poème, écrit pour le deuxième anniversaire de la mort de Gabriel Péri (décembre 1941), publié illégalement, relève vraiment de la légende et non de l'histoire: en effet, ce n'est à Ivry mais à Suresnes et dans une tombe enregistrée et non pas dans la fosse communeque Gabriel Péri est enterré.
L'auteur, alors dans l'illégalité, n'a pourtant pas inventé les détails, ni l'histoire, peut-être controversée, des hortensias bleus; mais déjà la tradition orale avait porté jusqu'à lui moins de deux ans après la mort deu martyr cette vesion déformée par quoi naît une légende aujourd'hui comme au temps de la Chanson de Roland, des Troubadours et des poèmes transmis de bouche en bouche à travers une France alors comme aujourd'hui dévastée et livrée aux soudards et aux chimères...